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L’effet Streisand : quand la censure alimente la rumeur

  • Writer: Erick Mormin
    Erick Mormin
  • Aug 23
  • 8 min read

Updated: Aug 31

Et si la meilleure réponse à l’effet Streisand était de repenser notre rapport à l’information ? Dans un monde où l’attention est une ressource rare, la modération et la pédagogie pourraient bien être les armes les plus efficaces contre la désinformation.


Par Erick Mormin pour EKM Conseils


Avant de plonger dans le sujet, examinons cette infographie illustrant les étapes de la vie d’une rumeur sur les réseaux sociaux. Elle met en lumière comment une simple tentative de contrôle peut amplifier une information de manière exponentielle.


The Life of a Rumor on Social Media
The Life of a Rumor on Social Media

Explication des étapes :

1. Birth (Naissance) : Une rumeur commence souvent par un message isolé, partagé sur une plateforme (ex. : un tweet, un statut Facebook, ou une story Instagram). À ce stade, elle est généralement peu visible, limitée à un petit groupe ou à une communauté restreinte. Son contenu peut être flou, anonyme, ou présenté comme une information "exclusive".


2. Spread (Propagation) : La rumeur commence à circuler grâce aux partages, aux likes et aux commentaires. Les utilisateurs, intrigués ou convaincus, la relayent à leur réseau. Les algorithmes des réseaux sociaux amplifient cette diffusion en la proposant à un public plus large, surtout si elle suscite des réactions émotionnelles (colère, surprise, indignation).


3. Virality (Viralité) : À ce stade, la rumeur devient virale. Elle est reprise massivement, souvent avec des hashtags (#Trending) et des notifications qui attirent encore plus d’attention. Les plateformes comme Twitter, Facebook ou TikTok accélèrent sa propagation, la transformant en un sujet de discussion majeur. Les médias traditionnels peuvent aussi s’emparer du sujet, lui donnant une légitimité apparente.


4. Streisand Effect (Effet Streisand) : Lorsque des tentatives de censure, de suppression ou de démenti sont entreprises (par une personnalité, une institution ou une plateforme), la rumeur gagne soudain une visibilité exponentielle. L’interdit ou la controverse attise la curiosité : les utilisateurs cherchent à comprendre « ce qu’on leur cache », et la rumeur se diffuse encore plus largement. C’est le cœur de l’effet Streisand : plus on essaie de la faire taire, plus elle explose.


5. Consequences (Conséquences) : La rumeur s’installe dans l’opinion publique, malgré les démentis ou les fact-checks. Deux scénarios coexistent :

   - Négatif : La désinformation persiste, alimentant la méfiance, les théories du complot, ou les divisions.

   - Positif (minoritaire) : Certains utilisateurs vérifient les faits (fact-checking) et rétablissent la vérité, mais leur voix est souvent noyée dans le bruit ambiant. Résultat : Même démentie, la rumeur laisse une trace durable dans les esprits, et la confiance dans les sources officielles peut être ébranlée.

 

Le paradoxe de la censure à l’ère numérique

En 2025, Emmanuel Macron porte plainte contre l’influenceuse américaine Candace Owens pour avoir relayé une rumeur sur le sexe de Brigitte Macron. Une décision qui, selon ses propres mots, risque de déclencher « l’effet Streisand ». Mais qu’est-ce que ce phénomène, et pourquoi les tentatives de suppression d’une information peuvent-elles la rendre virale ? À l’heure des réseaux sociaux, où l’attention est une monnaie d’échange, la lutte contre les fausses informations ressemble souvent à un combat perdu d’avance. L’effet Streisand, né d’un procès anodin en 2003, illustre comment une réaction mal calculée peut transformer une rumeur en phénomène mondial. Entre psychologie sociale, stratégie de communication et dynamiques numériques, ce mécanisme révèle les limites de la censure et les dangers de l’asymétrie entre vérité et désinformation.

 

1. Aux origines de l’effet Streisand : une photo, une plainte, un phénomène

1.1. L’affaire Streisand : quand la discrétion vire à la curiosité collective

En 2003, Barbra Streisand attaque en justice un photographe pour avoir publié une image aérienne de sa villa californienne dans une base de données publique sur l’érosion côtière. Avant le procès, la photo avait été téléchargée six fois. Après la médiatisation de l’affaire, elle devient un objet de fascination : plus de 400 000 téléchargements en quelques semaines. L’effet Streisand était né. Ce cas d’école montre comment une tentative de contrôle de l’information peut produire l’effet inverse, surtout à l’ère d’Internet, où l’interdit suscite la curiosité.

 

Pour mieux comprendre ce mécanisme, voici trois cas emblématiques où la censure a produit l’effet inverse.

 

Trois cas exemples marquants d’effet Streisand

Cas

Contexte

Résultat

La villa de Barbra Streisand

En 2003, la chanteuse attaque un photographe pour avoir publié une photo aérienne de sa résidence dans une base de données publique sur l’érosion côtière. Avant le procès, la photo avait été téléchargée 6 fois.

Après la médiatisation, plus de 400 000 téléchargements. La photo devient un symbole de la censure contreproductive. Note : Exemple de tweet viral reconstitué pour illustrer l’effet Streisand, basé sur des cas historiques. Exemple historique : "Barbra Streisand sued to hide her villa pic—now it’s everywhere! #StreisandEffect" (imaginé comme ayant été partagé massivement à l’époque, utilisé ici comme illustration conceptuelle).

La vidéo de l’INA sur Nicolas Sarkozy

En 2011, l’INA retire une vidéo montrant Sarkozy dire « Casse-toi, pauvre con » à un visiteur, après une plainte pour droit à l’image.

La vidéo est massivement partagée, et le site qui l’héberge voit son trafic exploser. L’expression devient un mémé viral. Note : Exemple de tweet viral reconstitué pour illustrer l’effet Streisand, basé sur des cas historiques. Cas connu : "INA removed Sarkozy’s ‘casse-toi’ video, but now it’s viral gold! #StreisandEffect" (basé sur le contexte de l’époque, utilisé ici comme illustration conceptuelle).

Le livre « America » de Jean Baudrillard

En 2006, les ayants droit de l’artiste demandent le retrait d’une photo de Baudrillard dans un livre. L’éditeur cède, mais l’affaire est reprise par la presse et les réseaux sociaux.

Le livre, initialement confidentiel, se retrouve sous les projecteurs. Les ventes augmentent, et l’image censurée circule largement en ligne.

Ces exemples montrent comment une tentative de suppression, même légitime, peut déclencher une curiosité collective et amplifier la diffusion de l’information.


Une villa luxueuse sur une falaise avec une vue sur l'océan
Une villa luxueuse sur une falaise avec une vue sur l'océan

1.2. La réactance psychologique : le fruit défendu version numérique

Dès 1966, le psychologue Jack Brehm théorise la « réactance psychologique » : plus une information est censurée, plus elle devient désirable. Les réseaux sociaux amplifient ce phénomène. Comme l’explique la chercheuse Zeynep Tufekci, « la censure agit comme un signal d’intérêt, un label “à ne pas manquer” ». L’effet Streisand n’est donc pas un hasard, mais une conséquence prévisible de notre rapport à l’interdit.


Interview : « Une psychologue social analyse notre fascination pour l’interdit »


Erick MORMIN : Pourquoi l’interdit suscite-t-il autant de curiosité ?

Dr. Sophie Lambert, psychologue sociale : « C’est une réaction universelle, ancrée dans notre psyché. Dès l’enfance, on nous apprend que ce qui est interdit est souvent intéressant ou dangereux. À l’âge adulte, ce réflexe persiste : si une information est censurée, notre cerveau l’interprète comme potentiellement importante ou menaçante. Les réseaux sociaux exacerbent ce phénomène, car ils créent un effet de groupe. Quand on voit que des milliers de personnes cherchent à contourner une censure, on a envie de faire de même, par mimétisme ou par peur de manquer quelque chose. »

Erick MORMIN : Comment expliquer que l’effet Streisand soit si puissant à l’ère numérique ?

Dr. Lambert : « Internet a démocratisé l’accès à l’information, mais aussi à la transgression. Avant, censurer une photo ou un livre limitait effectivement sa diffusion. Aujourd’hui, chaque tentative de suppression est perçue comme un défi, et les plateformes numériques récompensent la viralité. Un contenu censuré devient un “trésor caché” que tout le monde veut découvrir. C’est la version moderne du fruit défendu : plus on nous dit de ne pas cliquer, plus on a envie de le faire. »

Erick MORMIN : Que faire pour éviter de tomber dans le piège ?

Dr. Lambert : « La transparence est souvent la meilleure stratégie. Plutôt que de supprimer, il vaut mieux expliquer, contextualiser, ou même utiliser l’humour pour désamorcer une rumeur. L’objectif n’est pas de nier l’information, mais de la rendre moins attractive. Par exemple, répondre à une fake news par une infographie claire et pédagogique peut réduire son impact, tandis qu’un procès ou une suppression brutale risque de la propulser. »

Erick MORMIN : Les réseaux sociaux changent-ils notre rapport à la vérité ?

Dr. Lambert : « Absolument. Les algorithmes favorisent les contenus émotionnels et polémiques, ce qui donne un avantage aux fausses informations. Face à cela, il faut renforcer l’éducation aux médias et encourager l’esprit critique. Mais il ne faut pas sous-estimer l’intelligence des utilisateurs : quand on leur donne les outils pour analyser une information, ils sont capables de faire la différence entre une rumeur et un fait avéré. »


Propos recueillis par Erick Mormin pour EKM Conseils.


Schéma de la réactance psychologique
Schéma de la réactance psychologique

Le schéma ci-dessus illustre la théorie de la réactance psychologique, développée par Jack Brehm en 1966, qui explique pourquoi les tentatives de censure peuvent amplifier la diffusion d’une information.

Tout commence par une perception de liberté : les individus estiment pouvoir accéder librement à des contenus ou comportements. Lorsqu’une menace à cette liberté survient (comme la suppression de la photo de la villa de Barbra Streisand), une réactance psychologique se déclenche, marquée par frustration et désir de retrouver l’autonomie.

Cela conduit soit à une restauration directe (téléchargement de la photo censurée), soit à une restauration indirecte (partage viral ou résistance à la censure, comme avec la vidéo de Sarkozy).

Les conséquences incluent une amplification de la diffusion, illustrant l’effet Streisand. Des facteurs comme les différences individuelles et l’importance de la liberté modulent cette réaction, comme le montre la zone jaune.


2. L’effet Streisand à l’épreuve des réseaux sociaux

2.1. Des livres bannis aux rumeurs virales : la mécanique de l’amplification

En 2024, une étude révèle que les livres interdits dans certains États américains voient leurs emprunts en bibliothèque augmenter de 12 %. Le même mécanisme s’applique aux rumeurs : plus on tente de les étouffer, plus elles circulent. Les plateformes numériques, conçues pour maximiser l’engagement, transforment chaque tentative de suppression en opportunité de visibilité.


2.2. La loi de Brandolini : l’asymétrie entre vérité et désinformation

Formulée en 2013, la loi de Brandolini souligne un déséquilibre fondamental : « Il faut dix fois plus d’énergie pour réfuter une bêtise que pour la produire. » Une fake news se propage en un clic ; la démonter exige des ressources colossales. Une étude du MIT en 2018 confirme que les fausses informations voyagent plus vite que les vérités, car elles sont souvent plus simples et émotionnelles.


2.3. Cas d’école : de Macron à la culture cancel

· Emmanuel Macron vs. Candace Owens : En attaquant l’influenceuse, le président français prend le risque d’alimenter la rumeur qu’il cherche à combattre.

· La culture de l’annulation : Les tentatives de « cancel » d’une personnalité ou d’une œuvre génèrent souvent un effet Streisand, comme l’ont vécu des artistes ou des marques dont les controverses ont boosté leur notoriété.

 

3. Stratégies face à l’effet Streisand : ignorer ou contre-attaquer ?


3.1. Le silence stratégique : une solution risquée

Certains communicants prônent l’ignorance des rumeurs pour éviter de leur donner de l’oxygène. Mais cette approche peut aussi laisser s’installer des idées fausses dans l’opinion publique.


3.2. La contre-attaque : un pari dangereux

Porter plainte ou répondre publiquement peut être perçu comme une légitimation de la rumeur. Pourtant, dans certains cas, une réponse mesurée et factuelle peut limiter les dégâts – à condition de ne pas tomber dans le piège de l’émotion.


3.3. Les leçons des chercheurs et des experts

· Transparence et pédagogie : Expliquer sans polémiquer, comme l’a fait la NASA face aux théories du complot sur la Lune.

· L’humour et la dédramatisation : Certaines marques ou personnalités désamorcent les crises en jouant avec l’absurdité des rumeurs.

· Les limites de la justice : Les procès, s’ils peuvent rétablir la vérité, transforment souvent les accusés en martyrs aux yeux de leurs supporters.

 

L’effet Streisand, miroir de nos contradictions numériques

L’effet Streisand révèle une tension centrale de notre époque : entre le désir de contrôler l’information et la puissance des dynamiques virales. À l’ère des algorithmes et de l’hyperconnectivité, la censure est rarement la solution. La clé réside peut-être dans une approche plus subtile, mêlant transparence, éducation aux médias et résistance à la tentation de la surréaction. Comme le rappelle Alberto Brandolini, « la bêtise a toujours une longueur d’avance ». Mais face à elle, l’intelligence collective et la vigilance citoyenne restent nos meilleurs atouts.

 

Et vous, comment réagissez-vous face à une rumeur sur les réseaux sociaux ?

La partagez-vous sans vérifier, ou prenez-vous le temps de croiser les sources ?

Qu’en pensez-vous ? Partagez votre avis dans les commentaires !

 

Pour approfondir

Thème

Lien

Définition de l’effet Streisand

Étude sur les fake news

Cas de Barbra Streisand

Éducation aux médias

  •  Téléchargez notre guide gratuit sur les dynamiques virales :


.

  • Téléchargez notre checklist gratuite "5 étapes pour gérer une crise virale"



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2 Comments


Patrick CAUPENNE
Patrick CAUPENNE
Aug 24

Bonjour


J'ai consulté ton ouvrage sur la rumeur et le fameux "effet Streisand"

Je le trouve, personnellement, très intéressant en ouvrant une fenêtre sur un sujet très actuel, même si il peut être vu sous un angle beaucoup plus ancien...

En effet, même avant l'ère du numérique, les rumeurs existaient déjà. Et je dois dire qu'aux Antilles nous n'en sommes pas dépourvus....😆😁

Toutefois, je considère qu'il faut bien faire la distinction entre une fausse rumeur souvent à caractère négatif ou péjoratif visant à discréditer une personne physique, un groupe d'individus, ou une personne morale et d'un autre côté une rumeur positive, embellissant des sujets ou des actes...

Avec la "complicité " ou l'apport de l'IA et des réseaux sociaux, il…

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Erick Mormin
Erick Mormin
Aug 25
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Bonjour Patrick,

Merci beaucoup pour ton message et pour avoir pris le temps de consulter mon ouvrage sur la rumeur et l’effet Streisand ! Je suis ravi, en tant qu’Erick MORMIN, auteur de l’article, que tu le trouves intéressant et que tu soulignes son actualité, même enracinée dans des dynamiques antérieures au numérique. Tu as tout à fait raison : les rumeurs, qu’elles viennent des Antilles ou d’ailleurs, ont toujours existé, portées par le bouche-à-oreille avant de s’amplifier avec les réseaux sociaux et l’IA. Ton sourire face à cette réalité locale est communicatif ! 😄

Ta distinction entre rumeurs négatives (souvent destructrices) et positives (embellissantes) est très pertinente. Effectivement, l’ère numérique, avec la "complicité" de l’IA, facilite la propagation, rendant…

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